Judith Lossmann

Thriller intimiste 

Prologue

« Nue contre lui, je me blottis avec délice dans la chaleur de son corps. Comme chaque matin, je me réveille à côté de l’homme de ma vie. Il a passé le cap de la soixantaine depuis quelques mois. Un amour ardent nous lie depuis trente ans. J’aime passionnément chaque parcelle de son corps, chaque creux, chaque bosse. Je connais intimement tous les pores de sa peau, leur douceur et leur grain. Les odeurs différenciées de toutes ses zones.  

Il a toujours été fin et délicat, un squelette de danseur classique, à la limite de la maigreur, sauf avec le temps – ce voyou voleur de beauté –, ce léger renflement du ventre, son minuscule bidon de Bouddha poussé au fil des ans. Comme son père, rit-il. Son père, un homme inconnu de moi.  

 J’aime son corps infiniment et son esprit encore plus, sa sensibilité, sa pudeur, son arrogance, son stupide orgueil, ses craintes, ses peurs, ses envies de se terrer et celles de s’exploser en vol. 

Ce matin, je me réveille collée au seul être, à l’unique, capable de remplir mon monde et mes vides pleins de curiosités, d’angoisses et d’espérances. Il est l’homme d’exception attendu toute ma vie. Il est mon homme dont je suis si fière et heureuse de partager chaque seconde de notre histoire.  

Au fil des décennies, ce géant en devenir est sorti de sa gangue. Il s’est révélé, transformé, a muté en cet homme chéri. Je l’avais su à la première seconde de la première minute de notre première rencontre sans, jamais m’imaginer les conditions si peu ordinaires dans lesquelles le destin allait nous associer. 

Ce matin, je me réveille pour la dernière fois, sa peau contre la mienne. Nos épidermes soudés l’un à l’autre par la chaleur et par l’amour. C’est notre dernier matin. Notre dernier jour. Nos dernières heures. Il va mourir aujourd’hui. Il l’ignore.  
Moi… je le sais depuis mon initiation. Jamais, je n’ai eu autant qu’aujourd’hui l’espoir d’avoir fait, avant-hier, une mauvaise interprétation et hier une erreur de calcul. 

Il ne peut pas mourir aujourd’hui, c’est impossible. Sans lui, comment vais-je respirer ? 

Pourtant, je devrai faire face. J’ai l’obligation de lui survivre. 

Il a soixante ans, moi vingt-neuf.  

Ça n’a pas toujours été comme cela.  

Autrefois, c’était même l’inverse.

Preface

chapitre 01 – 5 juillet 2074 - Elliott

Comme tous les enfants nés après 2050, j’ai grandi bercé par deux histoires intimement jointes. Celle du TwoTooTwo et la légende vivante de Sateen et Jared. Dès mes premiers pas, ma famille me conduisait ici, dans cet imposant building et plus particulièrement à son sommet, dans cet espace très personnel pour les nôtres, baptisé Wall of Memories. Un gigantesque mur de souvenirs dont aucun ne m’appartient et auxquels je me sens amarré. J’ai toujours adoré venir me perdre dans cet entrelacs de visages, d’actualités pour plonger au cœur de leur mystère et tenter d’en débroussailler d’infimes fragments. »