Judith Lossmann

Thriller intimiste 

…  Au lever du soleil, par la magie de « L’Œil du TwoTooTwo » les étages s’illuminent un à un sur le passage de la lumière descendue du ciel jusqu’à ensoleiller la surface plane de la citerne tout en bas, laquelle par les jeux de miroir renvoie l’éclairage en écho. Ce phénomène crée des vagues brillantes et mordorées qui s’interpénètrent par le haut et par le bas. Féérique ! 
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Deux fois par an, seulement deux fois, la lune se place juste au-dessus du cercle clos formé par le puits et se moire, pile dans l’axe, dans l’eau de la citerne. Alors, l’eau joue son rôle de loupe et révèle les détails infinis du satellite à des spectateurs bluffés. Un moment prodigieux ! L’Abou Simbel de Roy, emprunté au roi-bâtisseur RamsèsII. Le monde entier veut assister à ce spectacle sans équivalent et pour assister au moins une fois dans sa vie à ce phénomène bisannuel, les réservations sont bookées plusieurs années à l’avance ! 
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… — Excusez-moi. Je ne sais pas E…lliott. Je n’ai pas de réponse hormis celle parue dans les journaux et émissions de l’époque. Comme vous, j’ai grandi avec cette légende. Je donnai leurs prénoms à mes poupées virtuelles. 
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Au-delà de l’architecture, je n’ai pas d’atomes crochus avec lui. Son absence m’a empêché d’être un enfant comme les autres, je n’ai pas pu être un jeune exigeant et avide de vérifier jusqu’où on l’aime. J’ai poussé vite. J’étais un bambou au feuillage persistant, résistant aux rafales et aux bourrasques sans jamais perdre mes ramures, mais sans cesse assoiffé et grinçant d’émotions égarées.  
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En principe, mon avenir est tracé, une parfaite ligne droite… Qu’est-ce qui me pousse à ouvrir ce paquet ? 
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… avant de commencer le décodage de ce calepin, j’ai envie de m’imprégner de la main capable de former ces arabesques appelées mots. Le ciel peut attendre ! Ma quête entamée depuis si longtemps et mon enquête, plus récente, peuvent souffrir quelques minutes supplémentaires d’incertitude.  
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Il la regarda partir sans l’appeler. La quête d’absolu de cette femme chamboule-tout l’avait figé. Il culpabilisa de son impossibilité à être à la hauteur du cadeau offert par le destin. Toute sa vie, il s’estima redevable de l’espoir qu’il lui avait donné. 
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Quand il pose un pied dans le cabinet d’écriture tout est en ordre, Satine, fidèle à son image habituelle, est assise sur son canapé, le thé fumant dans les tasses, elle lui sourit. Il ne devine rien. Son petit protocole de toquée fait illusion à chaque fois. Comme à l’accoutumée, ils bossent comme des fous. 
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Pour autant son corps n’était pas un temple interdit. Elle y invitait des hommes, les croyant en amour d’elle. Ce fut rarement le cas. Ses amants, plus ou moins de son âge, étaient mariés ou macqués et se confondaient tous dans son esprit. Ils avaient tout en commun, l’attitude, les réflexes, les demandes et ce besoin de varier la salade du jour pour rentrer chez eux avec femme et enfants, enfiler de bonnes vieilles pantoufles marquées par l’empreinte des orteils inscrite dans les semelles, tel un poinçon. L’un d’entre eux l’a remerciée, Merci Satine tu m’aides à aimer ma femme. Mais, je t’en prie ! 
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Et voilà, dix jours de retard de règles et elle vomit. Le test est une formalité. Oui, elle est enceinte. Elle l’annonce à son mari. Malheureux et… contrit. Il pose les mains sur son ventre et l’appelle Gédéon. Ça ne lui plaît pas. Son petit bout de vie n’est pas un Gédéon. 
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Dernière séance avant Noël. Les jours ont filé à la vitesse d’un vent d’ouest, une tornade incapable malgré sa toute-puissance de chasser la discrète tristesse de Satine. Dernière séance de l’année. Peut-être la dernière avec Jared en homme libre de ses mouvements et de ses intentions. 
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— Les âmes sont pourvues de facultés suprasensorielles. Elles peuvent être dans toutes les dimensions en même temps. Intégrées à des absents décédés depuis des siècles comme à des vivants. Les uns et les autres vivent leur vie de mort ou de vivant absolument inconscients du langage de leurs âmes qui communiquent, ailleurs et hors de leur présence, dès lors qu’on les sollicite avec resp… 

— Il est là ! 

— Comment ça il est là ? 

— Jared ! Jared demande la parole. Enfin, l’âme de Jared. Il insiste pour exprimer un message important. 
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L’élégance distante qu’ils nourrissent vis-à-vis de leur enveloppe corporelle est la juste conséquence de leur façon de se penser d’abord comme des êtres spirituels. Leur premier organe est le cerveau, ils le privilégient au corps dont ils prennent pourtant un soin exigeant malgré sa seconde place. 
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L’âge est une méchante farce pour les femmes ! Même très belle, la femme perd son pouvoir d’attraction, vite remplacée par la génération suivante. Et les générations féminines se renouvellent tous les quatre ans ! Pourquoi donc les hommes préfèrent-ils posséder des femmes jeunes ? 
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—  Nous, dit-il, dans ce récit, représente toutes les tribus associées et toutes les générations successives incarnées en moi, ici et maintenant. Nous est eux en moi. Et moi en eux. Nous est je et je est nous. Sans ceux d’avant, je ne serai personne. Sans moi, demain, il n’y aura personne. Dans ma narration, entendez Nous parler. N’oubliez pas… ma parole est la conjugaison de ceux d’avant et de ceux d’aujourd’hui. Laissez-moi vous raconter… 
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… Navarino ! Ce sont des surfaces d’eau par milliers et des dents minérales ! Celles des massifs des Dientes, devenues extrêmement attirantes pour les randonneurs intrépides en mal de forêts magellaniques, de tourbières, de cols alpins escarpés avec, en prime au sud, une vue sur le cap Horn, la dernière parcelle de terre avant l’Antarctique. 
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Satine avait trois minutes pour entrer et sortir. Pas plus… 
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Elliott prend son temps pour la formuler, lui-même s’interroge sur le sens à donner à son interrogation. Il se lance. 
— Qui est Satine, je veux dire celle sur les photos floues dans le Wall of Memories du TwoTooTwo ? 
— Je ne sais pas Elliott. Je ne sais pas. Une nouvelle Satine je suppose. 
— Ça veut dire quoi, nouvelle Satine s’irrite le jeune homme. Explique-moi, je te prie !
— Un fantôme peut-être ? 
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Sans Jared, elle eut été condamnée à vivre avec cet encombrant trop-plein d’amour. Avec Jared, elle s’obstinera à ne pas l’abandonner à son triste sort, à devenir une denrée périssable, un amas informe et gris rangé au fond d’une urne dissimulée puis oubliée dans les creux d’une cave et des pensées. 
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— Jareeeeed ! 
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Une voix secrète, une prophétesse, une Sybille en moi le savait, me le criait… d’une intonation toujours trop faible pour être audible. 
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Tous ses écrits attestent de sa volonté d’être présente auprès de moi, petite chose minuscule sortie des forceps de l’histoire. 
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Extrait du livre le repli du temps
Extrait du livre le repli du temps